Par deux jugements du 3 octobre 2023, le tribunal administratif de Poitiers a annulé deux arrêtés préfectoraux autorisant la création et l’exploitation de quinze réserves de substitution. Le premier arrêté autorisait la création de neuf réserves de substitution d’un volume total de 1,64 million de m3 sur les sous-bassins de l’Aume et de la Couture, dans le nord du département de la Charente et le sud du département des Deux-Sèvres. Le second arrêté autorisait la création de six réserves de substitution d’un volume total de 1,48 million de m3 sur le sous-bassin de la Pallu, dans la Vienne. Dans les deux cas, le tribunal a estimé, à titre principal, que les projets étaient surdimensionnés.
Les réserves de substitution sont des réserves d’eau destinées à être remplies pendant la période hivernale, lorsque la ressource est plus importante, pour servir à l’irrigation pendant la période estivale, lorsque la ressource est limitée. La logique de substitution implique que le dimensionnement de ces réserves soit tel que les prélèvements destinés à les remplir, désormais réalisés en hiver, se substituent à des prélèvements jusqu’alors réalisés en été, qui doivent être abandonnés. Autrement dit, l’objectif poursuivi n’est pas d’augmenter les prélèvements sur l’année, mais de transférer une partie des prélèvements de l’été vers l’hiver.
Par ailleurs, le volume de ces réserves doit tenir compte de la disponibilité de l’eau en période hivernale, qui, bien que plus abondante, demeure limitée, ainsi que des effets prévisibles du changement climatique.
Le tribunal a constaté que, dans les deux projets, la logique de substitution n’était pas effectivement respectée. En effet, le calcul du volume des réserves projetées reposait sur des données anciennes, datant du début des années 2000, qui ne reflétaient plus le niveau des prélèvements effectivement réalisés en été depuis une quinzaine d’année.
Concernant les six réserves de substitution du sous-bassin de la Pallu, le tribunal a en outre constaté que la réalisation du projet était susceptible de porter les prélèvements hivernaux, tous usages confondus, à 2,2 millions de m3, soit un tiers de plus que le volume prélevable (volume que le milieu peut fournir dans des conditions écologiques satisfaisantes) qui est de l’ordre de 1,66 million de m3 d’après les travaux réalisés dans le cadre de l’élaboration de l’étude « Hydrologie, milieux, usages et climat » (HMUC). Compte tenu du surdimensionnement du projet et au regard du contexte hydrologique local et des effets prévisibles du changement climatique, le tribunal a estimé que la préfète de la Vienne avait, en autorisant ce projet, entaché son arrêté d’une erreur manifeste d’appréciation dans la mise en œuvre du principe de gestion équilibrée et durable de la ressource en eau défini à l’article L. 211-1 du code de l’environnement.
Concernant les neuf réserves de substitution des sous-bassins de l’Aume et de la Couture, le tribunal a relevé que les prélèvements estivaux pour l’irrigation s’élèvent actuellement à environ 2,1 millions de m3. Après réalisation du projet, il était prévu le maintien de prélèvements estivaux de 1,87 million de m3, en plus des prélèvements hivernaux de 1,64 million de m3 qui seront nécessaires pour remplir les réserves. Ainsi, le projet, qui conduisait à augmenter les prélèvements de 1,41 million de m3 par an, ne respectait pas la logique de substitution prévue par le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et, contrairement à ce qu’impose le SDAGE, n’était pas associé à de réelles mesures d’économie d’eau et ne tenait pas compte des effets prévisibles du changement climatique. En outre, le tribunal a relevé plusieurs irrégularités dans la composition du dossier au regard duquel l’autorisation a été délivrée, notamment s’agissant de l’étude d’impact qui souffrait de plusieurs insuffisances et inexactitudes empêchant d’apprécier correctement les incidences du projet sur l’environnement.
L’annulation des deux arrêtés a pour effet d’empêcher la réalisation des réserves concernées, sous réserve bien sûr de l’exercice, par l’État ou les organismes qui avaient demandé les autorisations, des voies de recours qui n’ont cependant pas de caractère suspensif.